Certains jours, je trouve que notre métier est le plus beau du monde. Après tout, nous communiquons avec monsieur et madame tout le monde pour stimuler leur empathie et les convaincre de poser un geste noble : donner à des organismes qui travaillent à faire le bien, que ce soit pour réparer ce qui est tout croche dans notre société, ou pour rattraper ceux qui tombent entre les mailles de notre filet de sécurité.

D’autres jours, j’ai un frisson en pensant à cette idée développée par Serge Tisseron dans un récent billet qui donne froid dans le dos : cette empathie qui est au cœur de notre métier, elle peut aussi être utilisée par ceux contre lesquels nous nous battons.

Quelle est la différence alors entre le démagogue et le marketeur social? La fin, déjà (les moyens aussi, mais c’est une autre histoire…) Le reste est une question de valeurs, qui de l’organisme commandant une campagne, qui de l’équipe qui la conçoit.

J’aime à penser que je travaille pour une agence qui a de forts principes en la matière, qui nous guident et nous inspirent à niveler vers le haut et à prendre au sérieux la responsabilité éthique qui vient avec notre métier. Reste qu’en ce début d’année, j’ai eu envie de me répéter ces principes, question de ne jamais les oublier :

Écrire vrai, à l’ère de la post-vérité encore plus

Mot de l’année 2016 selon le dictionnaire Oxford, la post-vérité signifierait une période où les faits comptent moins que l’émotion ou les opinions personnelles. Si l’on sait que les émotions sont importantes dans notre métier, les faits comptent aussi, pour bien comprendre tout le travail qui est accompli par les organismes du secteur pluriel. Au-delà de l’opinion, nous avons la responsabilité d’informer le public, alors que ces organismes sont souvent des experts dans leur champ d’action. L’approche basée sur les faits de la SPCA de Montréal, dans le débat sur les pitbulls, est l’un des meilleurs exemples qu’il m’a été donné de voir cette année pour combattre cette tendance.

Écrire digne, contre le misérabilisme

Ou raconter avec le plus grand respect les histoires des bénéficiaires, survivants, réfugiés, jeunes de la rue qui acceptent de livrer leur expérience au profit de la cause. Présenter leur vécu de la façon la plus digne possible, même dans la souffrance. Et présenter autant la détresse que la force, car chaque personne porte les deux en elle. Portraits de Montréal demeure pour moi un exemple à suivre. Ce qui ne veut pas dire d’occulter les tragédies qu’il faut dénoncer.

Je dis écrire, mais j’aurais pu aussi bien dire montrer, car les images ont encore plus de force que les mots. C’est pourquoi l’an dernier nous y avons pensé à deux fois avant d’arrêter notre choix sur cette image (ci-dessous), finalement, pour représenter le drame des migrants avec Amnistie internationale. L’année avait été marquée par de nombreux naufrages en mer Méditerranée. Par le petit Aylan aussi. Et il était impossible de ne pas l’évoquer dans notre rétrospective du point de vue des droits humains.

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En terminant, je vous laisse sur cet article de Jean-François Cliche qui nous parle des travaux de Paul Slovic; sorte de scientifique de la compassion ayant développé le concept de « l’arithmétique de la compassion ». Il s’intéresse particulièrement aux façons dont nous réagissons aux atrocités ou aux catastrophes à grande échelle. Ou plutôt aux raisons biologiques qui font que nous sous-réagissons…

Résumant la dernière étude de Slovic autour de l’image iconique du petit Aylan, Cliche nous le dit sans gants blancs : la compassion durerait 5 semaines, et s’estomperait ensuite. Le principe de psychic numbing expliquerait pourquoi l’image d’un seul enfant a eu plus d’impact sur l’opinion publique que tous les reportages faisant état de la mort de milliers d’enfants syriens. Cela expliquerait aussi qu’entre 87 et 88 morts, notre cerveau ne fait pas de différence, comme entre 200 000 ou 300 000.

Déprimant, en effet. Mais je me dis que si elle est engourdie, c’est peut-être que la compassion est un muscle qui peut s’exercer…

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