J’ai toujours aimé les canulars. Ces œuvres, comme La guerre des mondes, qui jouent avec les codes d’un médium pour voir jusqu’où le public y croira, mauvais coup de grands enfants qui portent souvent une critique sociale ou une réflexion sur notre époque…

Mais si Orson Welles avait eu 23 ans aujourd’hui, parions que c’est probablement sur Snapchat ou Instagram qu’il aurait fait son coup.

Dans le genre, voici deux campagnes qui ont retenu mon attention, précisément car leur stratégie était basée sur cette idée du canular adapté à un média de l’heure. Instagram, pour ne pas le nommer. La troisième est tout aussi intéressante car elle s’appuie aussi sur un faux compte. Cependant, dans ce cas, on sait dès le départ qu’il est faux, mais on n’en est pas moins captivé.

Abdioudiouf1993

Juillet 2015. Abdou Diouf fait son apparition sur Instagram.

#penthouse #family #weekend #happyfamily #bestdayever #love #willmissyou #daydreamers #african #senegal #dakar Au fil des publications, on comprend que le jeune homme sénégalais s’apprête à partir pour le grand voyage.

« Dernier repas de ma mère. Ce voyage, c’est pour l’aider. Trop vieille pour travailler. »

On le suit donc du Sénégal jusqu’en Espagne, en passant par le Maroc. La route est difficile et dangereuse. Il doit notamment marcher deux jours sous le soleil sans nourriture, puis voyager caché dans le coffre d’une voiture, avant de traverser la Méditerranée à bord d’une barque de fortune.

Rapidement, Abdou compte plus de 7 000 abonnés. Son public est visiblement touché et passionné par son parcours. Au plus fort de la crise des migrants en Europe, c’est une des premières fois, en effet, qu’on a accès au témoignage direct d’un jeune migrant, sur une plateforme d’autant plus utilisée par les jeunes.

Mais voilà. Abdou n’est pas Sénégalais. Il n’est pas migrant non plus. C’est un acteur qui a été engagé par un festival de photos, voulant mettre en lumière les façons dont on partage nos photos et récits de voyage, selon qui nous sommes et selon les raisons qui nous ont poussés à partir.

Je ne sais pas encore si j’aime ou je n’aime pas cette campagne. J’aime l’idée d’avoir présenté une histoire que nous entendons habituellement par la bouche des médias. J’aime que les abonnés se soient attachés à Abdou et qu’ils aient peut-être vu la problématique d’un autre œil, maintenant qu’elle porte un nom, qu’elle se prend elle aussi en selfie et qu’elle a une mère et des amis.

Mais j’aurais préféré que ce soit une organisation de défense des droits des migrants qui soit derrière l’initiative, plutôt qu’un festival de photos. Un Amnistie ou un UNHCR, je ne sais trop…

Reste que l’opération mérite définitivement qu’on s’y attarde.

Louise.delage

C’est en août 2016 que Louise Delage commence à publier sur Instagram. Des photos d’elle en soirée, au parc ou à la plage. Jeune et plutôt jolie, elle a un sens de l’esthétisme certain et une grande maîtrise des hashtags. En deux mois, ils sont déjà plus de 7 000 à suivre son compte. Elle est également suivie par des influenceurs, de la blogueuse Lisa Gachet (Make My Lemonade) à l’actrice Juliette Binoche. Jusqu’à ce que tranquillement, les gens commencent à trouver qu’il y a  quelque chose qui cloche dans ces photos. Louise, qui semble avoir une vie parfaite, est souvent seule, n’a pas l’air très heureuse et… un élément se trouve systématiquement dans toutes ses photos.

Si vous voulez le découvrir par vous-même, c’est par ici.

Sinon, voici le punch dans cette vidéo.

Eh oui. Le compte de Louise Delage a été créé de toutes pièces par l’association française Addict Aide, avec ce message de sensibilisation en tête : il est facile de passer à côté de l’addiction d’un proche. Louise est en fait une étudiante et mannequin.

Like my addiction. Tout le monde a en effet liké, sans remarquer l’addiction, alors qu’elle était pourtant sur TOUTES les photos. Louise était-elle trop belle ou trop jeune?

C’est dire à quel point notre société valorise cet alcoolisme mondain, invisible parce que glamour, chic et de bon goût. C’est dire aussi combien il ne faut pas se fier aux réseaux sociaux pour savoir ce qui se passe vraiment dans la vie d’un proche.

Au fait, j’adore cette campagne, il n’y a pas de doute. Et celle qui suit encore plus…

Evert_45

Qu’arriverait-il si la jeunesse de 1939-45 avait eu Instagram? C’est ce qu’ont imaginé le Comité national du Souvenir et la Journée de la Libération aux Pays-Bas, en collaboration avec une agence, afin de raconter la guerre à ceux qui ne l’ont pas connue.

Je vous présente donc Evert. Un jeune néerlandais de 13 ans, dynamique et attachant, qui raconte son quotidien sur Instagram comme tous les autres jeunes de son âge (à quelques décennies près, on s’entend…)

Cadet de la famille, Evert aime déconner avec son grand frère, se plaint de manger encore de la soupe, mais est très fier de nous faire visiter sa chambre.

Bien vite, on comprend qu’il s’embarque pour un périple afin de retrouver l’aîné de la famille, dont les parents n’ont plus de nouvelles. Commence alors une aventure dans les Pays-Bas occupés de 1945, qui fera quelques fois perdre son sourire à Evert, la fatigue et la peur étant palpables.

Heureusement, l’histoire finit bien. Et elle atteint son objectif tant on est captivés par le périple d’Evert.

Autre fait qui me dépasse un peu : on y croit, même si on sait très bien que c’est impossible! Je pense que ça a à voir avec une maîtrise des codes des réseaux sociaux, qui fait que l’anachronisme passe comme dans du beurre.

Evert est plus près de nous que jamais, car il nous parle directement, à travers un médium que nous connaissons et utilisons chaque jour.

C’est par ailleurs ce que les résultats de la campagne montrent : grâce à Evert_45, en seulement trois semaines, la jeunesse néerlandaise est volontairement entrée en contact avec 1,3 million de minutes de cours d’histoire et a généré des centaines de commentaires.

Si c’est pas complètement génial ça!

L’initiative comprend aussi un site web interactif.

Vous avez aimé notre article? Partagez-le!