Quand ma charmante collègue m’a demandé si j’avais envie d’écrire un billet sur la justice sociale, j’ai pris peur.

Parce que, hein, on s’entend, ce n’est pas un petit sujet. On peut être idéaliste et porter haut des étendards, avoir fait du travail humanitaire et croire qu’il est possible de faire mieux un geste à la fois, reste que lorsqu’on m’a livré la pointe de l’iceberg sur un plateau d’argent, les mots « utopie », « bien-pensant » et « cynisme » se sont alors mis à rebondir sur les parois de mon cerveau, comme des balles de squash, dures et froides.

Je pense qu’il est honnête de dire que la justice sociale est un concept. Ce n’est pas une réalité. C’est un idéal, un principe d’équité vers lequel on tend, l’idée que l’on se fait d’un monde meilleur où tous les peuples auraient les mêmes droits, sans discrimination, dont celui de bénéficier du progrès économique et social.

Et voilà que je trébuche même dans la définition qu’en font les Nations Unies. Car qu’est-ce que le progrès économique et social ? Qui peut, là maintenant, me donner une définition faisant l’unanimité de ce qu’est le progrès, dans une ère où la décroissance est de plus en plus mise de l’avant comme la solution aux plus grands enjeux mondiaux? Et puis je dois admettre avoir de la difficulté à joindre harmonieusement l’idée d’un progrès économique à celle d’un progrès social.

Non seulement la justice sociale est-elle une idée, elle est de surcroît une notion mouvante, qui se transforme. Ce qui est juste socialement peut devenir injuste si le contexte change. Par exemple, aujourd’hui, ici et ailleurs, il est socialement accepté et considéré comme juste que les salaires puissent varier en fonction des professions, pour des raisons d’un certain ordre telles que le nombre d’années d’éducation nécessaires à la pratique d’une profession ou le niveau de responsabilité qu’elle demande. En outre, l’équité salariale est un concept relativement nouveau qui met de l’avant la question d’égalité des genres, pas celle des professions. La valeur qu’on accorde aux différentes professions est définit socialement, implicitement. Aussi, quand on y réfléchi, on peut se demander comment il se fait, par exemple, qu’il soit vu comme juste que le salaire d’un trader (ou opérateur de marché financier) soit supérieur à celui de l’enseignant qui forme nos enfants, ou du préposé qui soigne nos aînés? D’inquiétantes questions…

On ne peut pas être contre la justice sociale. Mais on peut craindre d’être déçu.

J’ai peur de toutes ces portes qui restent fermées (à certaines s’ajoutent même des verrous, serrures, cadenas…) lorsqu’on dénonce des injustices qui bouleversent l’ordre établi, à commencer par celles dont nos Premières Nations ont été victimes et celles qu’elles subissent encore aujourd’hui.

J’ai peur aussi de toutes ces boîtes de Pandore que des opportunistes inopportuns pourraient ouvrir, sous couvert du bon citoyen recherchant une égalité aux contours floues, et qui ébranleront des systèmes qui fonctionnent, des équilibres fragiles, des individualités et des pensées différentes… Peut-on, au nom de ce qui juste, forcer un itinérant à dormir au chaud s’il refuse de s’entasser auprès de ses semblables si dissemblables? Les racines de tels problèmes sociaux courent tellement loin, tellement creux.

Oui, je l’avoue, parfois, j’ai même peur de ne pas poursuivre le bon rêve.

Puis, je regarde autour de moi et je vois des personnes de différents milieux qui ont soif de mieux et qui agissent pour que des injustices – il y en a tant – soient dénoncées et réparées. Parmi ces personnes, des collègues, des clients, vous. Je me fie alors à ce que ces gens m’inspirent au plus profond de moi, dans une petite zone de préservation où brillent encore quelques idées rares, lumineuses et précieuses, comme l’égalité des chances, celle des races, la paix, le romantisme et la solidarité… et là, je cesse d’avoir peur pour un temps.

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Le 20 février, c’est la Journée mondiale de la justice sociale. À quoi servent ces journées thématiques? Elles sont des occasions d’éveiller, d’informer, de sensibiliser le public sur des enjeux importants, et d’organiser des événements servant à mobiliser des gens et des ressources.

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