Après plus d’un mois passé en quarantaine, Atypic souhaite partager des nouvelles de ses causes. Question de voir comment les uns s’adaptent, ou encore, comment les autres trouvent des nouveaux moyens de mobiliser leur communauté. Merci à tous ceux qui ont accepté de répondre à nos questions pour la rédaction de ces articles!

Entrevue avec Marco Décelles, directeur général de la Fondation québécoise du cancer

Atypic : Salut Marco! Passé un bon long weekend?
Marco Décelles : Oui! Ça fait changement de ne pas être en train d’attendre les nouvelles directives du gouvernement, ou de ne pas être en train de magasiner des masques. C’est rendu ma nouvelle job ça, essayer de trouver des masques!

A : (Rires) Dis-moi, comment ça se passe à la Fondation depuis le début de la crise? Vous avez assez rapidement été mis sur la liste des services essentiels par le gouvernement. Est-ce que ça vous aide ou ça vous nuit? Comment ça change les choses? Je sais que ce ne sont pas tous les organismes qui œuvrent en cancer qui ont été considérés comme tel…
MD : Je te dirais qu’être reconnu comme service prioritaire, ça vient avec une grande responsabilité. Si on n’avait pas eu ce statut, il aurait fallu faire comme tout le monde et on aurait dû fermer toutes nos Hôtelleries* le 24 mars dernier. Et dire à toutes ces personnes-là, qu’on accueillait : « Allez vous trouver une autre alternative que nous! ». Ce qui vient avec le statut, c’est qu’il faut demeurer ouverts, donc il faut qu’on ait les employés. Tu sais, ce qu’on entend comme histoires, les histoires d’horreur des maisons d’hébergement, que les employés ont été mis eux-mêmes en quarantaine ou encore ont déserté par peur de l’attraper… Eh bien nos employés ne sont pas différents des autres employés. Ce sont des humains comme tout le monde. Et comme employeur, on a la responsabilité de leur fournir un milieu de travail sécuritaire. Nos employés nous posent d’excellentes questions, et nous, on répond avec l’information qu’on a. Au début, dans la première phase, je te dirais que les gens étaient inquiets. Et je pense que d’avoir reçu cette confirmation-là du gouvernement a eu beaucoup d’impacts positifs à l’interne. Ça a permis de mobiliser tout le monde et de se dire : « Ouf! C’est important ce qu’on fait. » On le savait, mais là on se le fait dire, et on nous demande de rester ouvert. On s’est donc tous retroussés les manches.

*Un important volet des services offerts par la Fondation est son service d’hébergement pour les personnes atteintes d’un cancer qui doivent recevoir des traitements dans un centre hospitalier qui est loin de chez eux. À prix modique, les personnes qui en ont besoin peuvent donc résider, avec leur conjoint(e) ou un proche accompagnateur si elles le souhaitent, dans l’une des 5 Hôtelleries de la Fondation, situées près des grands centres de cancérologie à Montréal, Gatineau, Sherbrooke, Trois-Rivières, et maintenant Lévis. Le transport vers le lieu de traitements et les repas sont inclus. D’ordinaire, ces Hôtelleries se veulent des lieux chaleureux ou l’on tente de faire sentir les gens comme à la maison, avec en prime l’accès à du soutien par des personnes expérimentées en oncologie ou en diverses thérapies complémentaires (art-thérapie, massothérapie, kinésiologie, etc.) Une vie communautaire s’installe, et les résidents retirent souvent beaucoup de réconfort à partager avec des personnes qui vivent la même chose qu’eux.

A : Ça donne peut-être un nouveau sens du devoir à accomplir, du service à la communauté?
MD : Oui! Ç’a été un des premiers effets positifs. Bien entendu, on a aussi mis de l’avant ce statut de service essentiel dans nos communications et certaines opérations de collecte de fonds. Partout où on le communique, je pense que ça vient donner encore plus de sens à ce qu’on fait. Si on nous reconnaît comme prioritaire — bon il faut aussi faire attention, parce qu’aujourd’hui un garage automobile est rendu considéré prioritaire, donc ça va peut-être finir par perdre un peu de sens! – mais au départ, pour nous, ça venait confirmer notre mandat quotidien d’être présents pour ces personnes-là. On le savait, et là on se l’est fait dire, on se l’est fait confirmer. Et je pense que ça a donné la petite tape dans le dos pour certains employés qui étaient peut-être plus anxieux, ou qui questionnaient pourquoi on faisait tous ces efforts-là de demeurer ouverts. Parce qu’au début, on faisait des efforts pour demeurer ouverts. Et je pense que ça leur a permis de comprendre que ce n’était pas pour nous qu’on le faisait. Comme toujours, on le faisait pour nos résidents, les bénéficiaires de services… Ça a donc été mobilisateur dans un certain sens.

A : Donc vous devez continuer de prodiguer vos services, mais j’imagine qu’avec la crise et les événements-bénéfices annulés, les revenus ne sont pas tous au rendez-vous?
MD : Effectivement. On travaille comme toutes les entreprises actuellement. On regarde les programmes gouvernementaux et autres formes d’aide possibles. Je dis à tout le monde : « Écoutez, j’ai des revenus à risque, et si je n’ai pas ces revenus-là, je ne suis pas capable de poursuivre mon mandat d’Hôtelleries, entre autres… »

A :  … mandat qui est essentiel!
MD : Oui, essentiel! Donc je suis convaincu qu’on recevra de l’aide et qu’ils vont vouloir poursuivre leur appui comme ils l’ont toujours fait. Et ça va être à nous ensuite de maintenir nos efforts, parce que le gouvernement ne va pas nous sauver intégralement, mais pour le reste, on devrait être en mesure d’y arriver… Par différentes platitudes hein, nous aussi, réductions d’heures de travail, mises à pied ponctuelles ou temporaires dans le temps… Mais si on additionne tout ça on devrait avoir un plan. Un plan qui va nous permettre de survivre et de passer au travers. Parce que c’est notre première préoccupation : survivre. C’est vraiment de nous assurer qu’on puisse poursuivre ce qu’on fait depuis 40 ans. Et surtout, on avait plein de beaux projets aussi. Donc tout ça, il faut que ça se poursuive.

A : Au niveau de l’hébergement, est-ce que ça se pourrait que d’habitude, vous avez des chambres pour plusieurs personnes?
MD : D’habitude ce sont des chambres pour maximum 2 personnes.

A : Et là, comment ça se passe, avec les nouvelles mesures?
MD : Eh bien elles sont occupées par une seule personne. 

A : Donc ça diminue votre capacité d’accueil?
MD : Oui, ça diminue notre capacité d’accueil, et ça diminue par le fait même encore une fois nos revenus. Je ne peux plus maintenant mettre deux personnes par chambre, à part si ce sont des conjoints.

A : Ok. Donc quoi, il y a plus de gens sur la liste d’attente?

MD : Pour le moment, on réussit à accueillir tout le monde. Parce qu’il faut dire que le réseau de la santé, tu as dû en entendre toi-même parler, a réduit passablement les consultations, les chirurgies, etc. Donc pour l’instant, on réussit à héberger pas mal tout le monde qui en a besoin. 

A : C’est comme kif-kif? Comme les suivis médicaux sont diminués, la demande est diminuée aussi?

MD : Exact. Donc là le problème, ça va probablement être plus quand il y aura une reprise des activités en milieu hospitalier. Nous, je suis pas mal convaincu qu’on sera pris avec ces mesures-là pendant encore un certain temps. Donc ça va peut-être être un peu compliqué à la reprise, mais la crise aura modifié certains comportements comme les suivis en télémédecine qui, je crois, vont demeurer, et c’est très bien ainsi pour tout le monde.

A : Puis j’imagine les espaces communs dans les Hôtelleries, comme le salon, la cuisine, c’est plus possible d’y aller?
MD : Malheureusement, il faut que ça demeure encore un peu possible, mais là on joue à la police car il faut faire appliquer les règles de distanciation entre nos résidents. Donc est-ce que présentement on réussit à offrir aux résidents une deuxième maison? Non, pas entièrement, malheureusement. 

A : Non c’est sûr… Je comprends. C’est plus comme un hôtel?
MD : Ouais et puis, gardez vos distances! (Rires)

A : Ouais! Il faut ce qu’il faut… (Soupir) Je me demandais, est-ce que vous avez plus d’appels, à votre Ligne Info-cancer*, de gens inquiets? Considérant que des personnes immunosupprimées par exemple, ou immunodéficientes, qui suivent un traitement, pourraient plus s’inquiéter? Ou même leurs proches?

*Un autre important volet des activités de la Fondation est ce qu’ils appellent leurs Services Info-cancer, incluant une ligne téléphonique disponible du lundi au vendredi, de 9 h à 17 h. Personnes atteintes et proches peuvent alors parler à une infirmière expérimentée en oncologie pour recevoir de l’information, se faire rassurer ou se faire référer d’autres services plus spécifiques, comme une consultation avec un psychologue ou une nutritionniste.

MD : On se le demandait aussi, et globalement, on vient d’avoir la réponse pour le mois de mars. Il y a quand même un volume d’activités, mais on a eu une baisse de 17 % des appels. Au global.

A : Ah!
MD : Je ne suis pas surpris dans un sens. Je pense que les préoccupations initiales des gens, c’est vraiment les finances. Donc tout le monde se demande : « C’est quoi le programme du gouvernement auquel j’ai droit? Suis-je admissible? Comment s’inscrire? » Je pense que ce sont les premières préoccupations. Et j’ai lu ce matin le rapport d’un sondage qui a été fait dernièrement. Eh bien on le voyait aussi, qu’une des plus grandes préoccupations, c’était encore le monétaire. Donc oui, il y a des gens qui trouvent ça plate que leur rendez-vous ait été annulé, de devoir parler à leur médecin par téléphone… Mais somme toute, l’impact sur les traitements n’a pas augmenté le nombre des appels reçus. Je m’attendais quand même à ce qu’il y en ait plus que ça.

A : Est-ce que c’est parce que ce sont des gens qui ont encore leur emploi et qui l’auraient perdu à cause de la COVID? Ou peut-être que ce sont les conjoints qui perdent leurs revenus, ce qui crée des inquiétudes?
MD : Ce sont toutes ces choses-là, et il faudrait creuser l’échantillonnage. Mais dans le rapport, ça prenait une place quand même assez importante. Et ça aussi, on l’a vu, on l’a entendu chez nous aussi. Et il faut que les gens retrouvent tous leurs repères. Donc naturellement, est-ce que leur besoin premier c’est de parler à une infirmière de la Ligne Info-cancer? Ou c’est d’avoir des nouvelles d’un parent qui est dans un CHSLD? Je pense que les priorités des gens ont bougé dans le temps. Puis en même temps, une baisse de 17 %, c’est pas anormal non plus. On vit des fluctuations mensuelles, donc peut-être qu’en avril, on va être en hausse. Et on continue d’avancer : on vient de signer deux nouvelles ententes avec des organismes qui vont utiliser notre Ligne Info-Cancer. On va annoncer ça officiellement dans les prochaines semaines. Donc la pertinence d’avoir des réponses est toujours là. On a d’ailleurs ouvert nos critères pour les proches qui souhaiteraient eux-aussi avoir accès à des psychologues. 

A : Ok. Eh bien c’est tant mieux!

Cliquez ici pour lire la suite!

Pour en savoir plus sur la Fondation québécoise du cancer, c’est par ici, ou pour l’appuyer par un don, c’est par ici.Et pour suivre leur communauté qui s’active sur les réseaux sociaux, commencez ici!

Article rédigé par Arianne Cardinal

 

Vous avez aimé cette nouvelle? Partagez-la!