Après plus d’un mois passé en quarantaine, Atypic souhaite partager des nouvelles de ses causes question de voir comment les uns s’adaptent, ou encore, comment les autres trouvent de nouveaux moyens de mobiliser leur communauté. Merci à tous ceux qui ont accepté de répondre à nos questions pour la rédaction de ces articles!

Entrevue avec Danielle Marchand, directrice générale et coordonnatrice des activités de *PETALES Québec

Atypic : Comment ça se passe sur le terrain, dans les familles, avec la situation de confinement? Est-ce que vous recevez plus de demandes de parents démunis qu’à l’habitude, et comment adaptez-vous vos conseils? Quels sont les changements qu’apporte le confinement dans la façon dont les parents peuvent agir avec un enfant qui a un trouble de l’attachement?

Danielle Marchand : Nous on les appelle les grands oubliés de la pandémie. Il y a deux situations qui nous préoccupent présentement. La première, c’est bien sûr tous les parents dont les enfants présentent une certaine fragilité sur le plan du lien, que ce soit des familles biologiques ou adoptives. Peut-être qu’ils avaient les services d’un psychologue, d’une travailleuse sociale, d’un psychoéducateur… Les enfants étaient à l’école, donc il y avait des moments de répit dans la journée, et la proximité était moins lourde à supporter, autant pour l’un que pour l’autre. Ce type de confinement peut amener des tensions au niveau de la relation parentale, amener les jeunes dans un niveau d’anxiété assez élevé pour qu’au niveau comportemental, ce soit compliqué. On va avoir des enfants qui peuvent davantage souffrir au niveau du sommeil, au niveau alimentaire, être sujets à faire des crises ou des provocations, présenter une grande tristesse, ne pas collaborer. Par exemple on doit faire l’école à la maison, et les enfants ne veulent pas collaborer. Ça peut amener des situations de grande tension et l’épuisement, effectivement, des parents. La routine n’est plus la même, donc pour certains enfants qui ont une certaine fragilité sur ce plan, la routine de la garderie, la routine de l’école, c’étaient des repères qui permettaient aux jeunes de mieux gérer les épisodes où ils se sentaient plus anxieux ou plus inquiets. Là, il n’y a plus de points de repère. Ils perdent contact avec leurs amis aussi, et pour certains enfants c’est plus douloureux. On doit recréer une routine, mais ce n’est pas évident. C’est comme si on était en vacances, mais en même temps, il faut prendre la routine de l’école. Mais d’habitude c’est pas maman qui fait l’école, c’est mon professeur. Ça peut exacerber des situations d’opposition qui étaient déjà là, dans les devoirs et les leçons. Et oui, il peut y avoir l’éclatement de conflits, et de l’épuisement parental.

A : La fameuse fatigue de compassion?

DM : Oui, ça peut amener peut-être plus rapidement une forme de fatigue de compassion, parce que tu es au quotidien sur le front, sans aucun moment de répit. Un peu comme les aidants naturels qui sont avec leur proche à la maison sans aucune aide de l’extérieur. On s’épuise beaucoup plus vite.

A : Et quel est le deuxième cas de figure qui vous préoccupe?

DM : Ce sont les enfants placés en centres jeunesse (familles d’accueil, centres de réadaptation, foyers de groupe) pour qui il y a eu un interdit de contacts physiques. On a d’ailleurs alerté le gouvernement au début du mois d’avril sur la question. Ça s’est fait bing bang, du jour au lendemain! Plus de visites supervisées, plus de visites dans leur famille. Il faut savoir qu’il y a quand même des enfants qui sont en centres de réadaptation et qui, la fin de semaine, allaient chez leurs parents, qui s’attendaient à être là pour Pâques par exemple. Et là, il n’y a plus aucun contact de possible sauf par téléphone. Et les centres de réadaptation et les familles d’accueil ne sont pas tous équipés avec un téléphone intelligent, une tablette ou un ordinateur avec Skype, pour être capable de communiquer plus facilement avec leurs parents. Ça doit être très difficile à organiser, et on n’entend rien là-dessus. Et là on parle de jeunes qui ont tous quelque part une problématique de trauma complexe. Donc comment on soutient les éducateurs? Comment on soutient ces jeunes-là? Comment on les équipe pour maintenir un contact avec leurs parents? Comment on soutient les parents, aussi? Il y a un parent qui m’appelle régulièrement parce qu’il est inquiet, et qui vient d’apprendre que son enfant est à ce point anxieux qu’il a été mis en retrait 4 fois dans la même semaine. Et pas des retraits de 20 minutes! Il y en a un qui a duré 45 minutes tellement il était agité. Ça un retrait, ça veut dire qu’il est retiré du groupe et mis dans une chambre de retrait.

A : Donc vous anticipez qu’il y aura plus de ces problématiques dans les centres?

DM : Oui, et il y a aussi des experts des traumas complexes qui se sont penchés sur la question et qui font des recommandations par rapport à ça. Mais moi, ce sont les parents qui m’appellent et qui sont inquiets.

A : Ceux que vous appelez les grands oubliés…

DM : Oui.

A : Vous dites que vous avez contacté le gouvernement. Quelle est la réponse?

DM : On a envoyé une lettre au premier ministre Legault, et on n’a eu aucune réponse encore. Il y a une seule journaliste qui a fait le suivi avec moi. Que font les centres jeunesse? Et les éducateurs, ce sont nos anges-gardiens eux aussi, mais on n’en parle pas. Imagine-toi que nous avions déjà une DPJ affaiblie. La commission spéciale d’enquête ne nous a pas dit qu’elle allait très bien. Au contraire, on découvre que ça allait très mal, et qu’il y avait un roulement de personnel effarant. Imaginez maintenant…

A : J’ai entendu dire qu’il y avait moins de cas déclarés à la DPJ depuis le confinement? Pourquoi? Par manque de ressources?

DM : Pas du tout. C’est que les signalements à la DPJ viennent souvent du réseau social entourant le jeune. L’école, la garderie… Ça va venir de là. C’est pour ça qu’ils disent qu’ils ont moins de signalement en ce moment.

A : Il y a moins de « témoins »?

DM : C’est ça. Et là on a aussi des éducateurs et éducatrices qui sont tendus parce qu’ils doivent travailler. Quelles sont les mesures de protection qu’on leur offre? Comment sont-ils protégés? On a aussi des enfants qui avaient des suivis avec des psychologues qui les aidaient beaucoup, et là, ils ne l’ont plus. Moi mon inquiétude, c’est qu’on soit portés à vouloir augmenter la médication des jeunes pour qu’ils soient plus calmes. Et déjà, on dénonçait une médication trop élevée dans les centres jeunesse. Ça a été soulevé en commission, ça aussi.

A : Sur une note peut-être plus positive est-ce que vous êtes témoin de gestes de solidarité plus qu’à l’habitude? Ou encore est-ce que quelque chose de positif est ressorti de cette crise pour PETALES Québec, malgré tout?

DM : Ce que ça apporte de positif, c’est peut-être qu’on sent un plus grand intérêt. Ça alerte davantage la population. Sinon, je te dirais que la collaboration avec de nouveaux partenaires ou organismes, c’est aussi une forme de solidarité nouvelle. Ce sont des gens avec qui on ne serait pas entrés en contact avant. Avant la crise, je n’aurais jamais pris le téléphone pour appeler la LigneParents, mais je l’ai fait dernièrement pour leur dire de ne pas se gêner pour nous référer les appels qui relèvent d’une problématique de lien d’attachement plus fragile. Et il y a d’autres organismes qui sont entrés en contact avec nous comme ça, pour qu’on s’entraide. Ce sont des contacts qui vont peut-être rester après la crise.

Une autre chose que ça a apporté, ce serait peut-être que ça nous a poussés à envisager de nouvelles solutions technologiques plus vite qu’on aurait pensé le faire. Par exemple, avec les mesures de distanciation, on ne peut plus faire nos ateliers d’information PETALES sur la route. On a donc décidé d’initier des ateliers de soutien à la carte par visioconférence. C’est sûr qu’en personne, c’est plus facile de connecter avec les gens, mais l’adaptation vaut tout de même le coup. Puis, quand on reprendra la route, on pense continuer à jumeler les deux. Par exemple, être à Rimouski en personne, et diffuser un webinaire en même temps pour ceux qui habitent plus loin. Il faut qu’on évalue les coûts pour s’équiper. C’est un projet à l’étude. Mais vois-tu, s’il n’y avait pas eu la pandémie, on n’aurait pas pensé à ça aussi vite pour une réalisation à court terme. On a également développé des ateliers de formation sur demande en webinaire, pour les professionnels et intervenants.

A : En terminant, comment quelqu’un du public pourrait aider les enfants qui vivent avec un trouble de l’attachement et les parents, dans un contexte comme celui-ci? Si on en a dans notre entourage par exemple?

DM : Eh bien on ne peut pas dire amène-moi le petit pour prendre du répit. Je pense que juste les appeler et leur dire si tu veux ventiler, sacrer au téléphone, pleurer, dire que tu veux les mettre dans une boîte de conserve, si tu as besoin d’avoir quelqu’un qui t’écoute, sans te sentir jugé, eh bien ça va te faire du bien. Je pense qu’on peut les aider de cette manière-là. S’il y a des parents proches ou des amis, aussi, qui ont un bon contact avec le jeune, ils peuvent peut-être faire un FaceTime avec lui, proposer de l’aider à faire ses devoirs, proposer de faire des jeux en ligne ensemble. Ça permettrait de donner du répit aux parents. Mais surtout, c’est de ne pas juger les gens. De donner une oreille attentive et d’accompagner la personne, la réconforter, la bercer au téléphone…

*PETALES Québec est un organisme communautaire qui offre des services de soutien et de l’entraide aux parents d’enfants présentant des troubles de l’attachement, et ce, pour les familles de tous types (biologiques, adoptives et d’accueil). PETALES offre également de l’information et du soutien aux intervenants qui œuvrent auprès de ces enfants. L’organisme est membre de PETALES international.

Dans la foulée de sa campagne #causesorphelines lancée pour la Journée nationale de la philanthropie 2019 et mettant en lumière des causes méconnues ou oubliées, Atypic a choisi d’offrir ses services à PETALES Québec et d’adopter la cause, le temps de la rendre plus accessible au public et aux potentiels donateurs. Restez à l’affût pour découvrir le nouveau site web que nous leur préparons!

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Article rédigé par Arianne Cardinal.

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